Une utilisation non justifiée du Droit de préemption urbain par le Maire
A l’occasion de certaines transactions immobilières, une commune peut décider d’évincer un acquéreur et se substituer à lui.
En effet, suite à la signature d’une promesse de vente, et avant le transfert définitif du droit de propriété intervenant chez le Notaire, certaines formalités doivent être accomplies, au titre desquelles la déclaration d’intention d’aliéner (dite DIA).
Celle-ci consiste à informer le Maire qu’une transaction est en cours sur un bien, lui laissant la possibilité de déclencher, pour le compte de la collectivité, son droit de préemption urbain.
Dans l’affirmative, le Maire prend alors une décision de préemption qui est ensuite notifiée au vendeur et à l’acquéreur.
Cette procédure de droit de préemption urbain est prévue et encadrée par le Code de L’urbanisme, aux articles L210-1 et suivants.
Sachant que ce droit de préemption évince brutalement l’acquéreur initial, le privant ainsi de son projet immobilier, il convient donc que notre Droit veille à ce que les collectivités et leurs élus ne fassent pas un usage abusif et excessif de ce dernier et sanctionne les éventuelles dérives.
L’article L210-1 dispose que les Droits de préemption s’exercent « en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1 ».
Selon cet article L300-1 du même code : « Les actions ou opérations d'aménagement ont pour objets de mettre en œuvre un projet urbain, une politique locale de l'habitat, d'organiser la mutation, le maintien, l'extension ou l'accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs ou des locaux de recherche ou d'enseignement supérieur, de lutter contre l'insalubrité et l'habitat indigne ou dangereux, de permettre le renouvellement urbain, de sauvegarder ou de mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels, notamment en recherchant l'optimisation de l'utilisation des espaces urbanisés et à urbaniser ».
Tout cela suppose donc une motivation sérieuse de la part du Maire qui doit justifier sa décision et décrire précisément la nature du projet envisagé, pour éviter ainsi toute dérive arbitraire et attentatoire au droit de disposer de son bien.
Par ailleurs, l’acquéreur dispose d’un délai de deux mois pour éventuellement saisir le juge administratif et contester le droit de préemption qui lui a été signifié.
Les tribunaux sont ainsi régulièrement saisis par des particuliers qui se sentent lésés par l’utilisation Droit de préemption conféré aux Maires.
Nous trouvons ainsi régulièrement des décisions de Justice recadrant des collectivités utilisant de manière abusive et illégitime leur Droit de préemption urbain.
Un jugement récent a retenu toute notre attention puisqu’il concerne notre commune de Kloar.
Il y a quelques mois en effet, la grande parcelle dunaire (plus de 13 000 m²) cadastrée AK n°326 a fait l’objet d’un compromis de vente, transaction notifiée comme il se doit par le biais d’une DIA au Maire de Kloar.
Cette parcelle, située au cœur du POULDU, entre le boulevard des Plages et la rue Anne de Bretagne, est bien connue de toutes les générations locales, pour accueillir depuis des décennies et tous les étés, différents manèges et autres stands pour la plus grande joie des enfants et des touristes.
Aussitôt prévenu de la transaction en cours, d’un montant de 150 000 €, le Maire de Kloar a décidé de préempter, par une décision en date du 21 Avril 2023, au motif que la commune « a la volonté de réaliser un parc et des espaces verts pour les habitants sur la parcelle objet de la déclaration d’intention d’aliéner ».
Le Maire s’appuyait notamment sur « les investissements réalisés par la commune à proximité immédiate de la parcelle pour requalifier et végétaliser les espaces urbains à proximité de l’océan ».
Tous ces éléments justifiaient selon lui une démarche d’intérêt général de nature à justifier la préemption.
Saisi par l’acquéreur évincé, et par un jugement rendu le 11 Mai 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Rennes a recadré le Maire et a ordonné la suspension de la préemption, au motif que « la commune de Clohars-Carnoët ne justifie pas de la réalité d'un projet à la date des décisions de préemption, qui ne saurait davantage résulter de sa volonté de réglementer l'activité de restauration mobile sur son territoire ».
Cet exemple montre et prouve aux administrés que nous ne sommes, qu’il n’y a pas toujours de fatalité face aux pouvoirs conférés aux collectivités et rappelle aussi aux Maires que l’intérêt général ne se décrète pas par l’autorité conférée par leur mandat ou à l’issue d’une réunion entre élus en Mairie : l’intérêt général doit être avéré et le projet (ou l’opération) envisagé(e) sur le bien préempté bien réel(le) !
Espérons que notre majorité retienne bien la leçon pour ses prochains projets …. A suivre !
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