Arrêtons l'iconolâtrie
Je suis né à Clohars, j’y vis depuis des dizaines d’années et je compte bien finir mes jours au pays. Quand j’étais gamin, ce ne sont pas les écrans qui m’occupaient pendant mes temps de loisir, mais la recherche de nids, les courses à vélo dans les champs, les sauts du haut des quais à Döelan.
Certes ado, j’avais appris qu’un peintre célèbre avait séjourné au Pouldu mais je n’y prêtais à l’époque aucune attention, la perspective d’une prochaine pêche aux étrilles étant bien plus excitante. Plus tard, la maturité aidant, je réalisais que ce peintre s’appelait Gauguin et qu’il était mondialement connu.
Des élus décidèrent de rappeler son passage dans notre commune et réhabilitèrent l’ancienne buvette de la plage où il y passa l’essentiel de son temps pendant les quelques mois de sa présence. Je trouvais que c’était là une bonne initiative pour rappeler qu’un artiste d’une telle renommée avait peint une partie de ses toiles chez nous. J’ai vraiment apprécié la visite de la Maison Marie Henry, mais je n’ai jamais ressenti le besoin d’y retourner.
Personnellement je trouve que cette reconstitution des lieux est suffisante pour honorer la présence de l’artiste sur nos rivages, elle date un peu mais on peut sans doute encore en améliorer son attractivité.
Mais ce que je n’arrive pas aujourd’hui à comprendre c'est la « Gauguinmania » qui se développe dans notre commune depuis quelques années. Il semble que pour quelques élus, l’histoire de notre cité n’existe maintenant qu’au travers de celle de l’artiste et que nous devrions sans cesse l'honorer et lui vouer un culte indéfectible. C’est ainsi que Gauguin s’immisce maintenant partout dans notre vie courante. Du livret Gauguin pour les jeunes mariés, des tableaux de Gauguin sur nos façades, des illuminations de Gauguin pour Noël, des visites organisées pour nos enfants à la Maison Marie Henry, des reproductions de toiles sur nos chemins côtiers, etc... Le peintre est omniprésent !
Dans d’autres circonstances et dans d’autres lieux, j'appellerais cette pression permanente de l'endoctrinement. Cette dérive culturelle va-t-elle se transformer prochainement en dérive commerciale ? L’ironie me pousse à me demander à quand la vente en mairie de casquettes « make Gauguin great again », de mugs et assiettes à l’effigie de Gauguin ? et pourquoi pas un jour, la cuvée de cidre spéciale Gauguin ?
Plus sérieusement, j’ai encore lu dans la presse cet été, que certains élus, peu nombreux certes, insistaient à nouveau sur notre devoir de mémoire à l’artiste. C’est une grande erreur et une vision toute personnelle. Le devoir moral, c’est entretenir le souvenir des souffrances subies dans le passé par certaines catégories de la population.
Moi Cloharsien de souche, je réfute donc totalement cette perception des choses. Si j'ai un devoir de mémoire à adresser, c'est pour les enfants de la commune qui jadis se sont battus loin de chez eux pour défendre ma liberté, c'est pour les marins de Doëlan péris en mer alors qu’ils ne voulaient que nourrir leur famille.
L'histoire de Clohars, c'est la vie de familles de paysans et de marins et elle dure depuis plusieurs siècles. Malheureusement une minorité veut la façonner s’imaginant sans doute elle même entrer dans la postérité locale. Déjà, elle avait voulu changer le nom de mon école, St Maudet, et me voler mon enfance. Alors je dis non à cette réécriture culturelle et historique.
Cette poignée d’élus veut un centre d’interprétation sur Gauguin, certes, mais en connaissent t’il même la définition ? L’interprétation c’est l’action d'expliquer, de chercher à rendre compréhensible ce qui est dense, compliqué ou ambigu. Cette formulation s’applique parfaitement à Gauguin artiste très controversé. Alors dans ce centre, auront-ils le courage d’aller au bout de la démarche éducative et aborder la face odieuse du personnage ?
Finalement pourquoi notre commune est elle connue ? pour Gauguin ? Pour la très grande majorité, pas vraiment, car l’intérêt pour l’artiste est très marginal parmi les dizaines de milliers de visiteurs qui séjournent chaque saison dans notre commune.
Alors cessons de faire de l'iconolâtrie pour l'artiste si célèbre soit-il, il ne représente pas ce qu'a été l'histoire de ma commune, mais seulement un bref épisode. Je ne veux donc plus qu'on me l'impose constamment et j'ai envie de crier « Gauguin ! assez !!! ».
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